En 1994, Alain Carignon, maire de Grenoble, président du Conseil général de l’Isère, ancien ministre de l’Environnement puis de la Communication, est mis en examen pour « recel d’abus de biens sociaux » et « complicité de corruption ».
L’affaire Carignon commence. Elle entraînera une série de mises en examen et de condamnations sans précédent dans le milieu politique et patronal grenoblois.
QUE SONT DEVENUS LES COPAINS DE PRISON DE CARIGNON ?I
Alain Carignon a été condamné en 1996 à quatre années de prison pour avoir « commis l’acte le plus grave pour un élu, vendre une parcelle de son pouvoir à des groupes privés et en accepter des avantages considérables », selon les juges. Son tour par la case prison n’a pas entamé son désir de gloire. Mais s’il reprend la mairie, parviendra-t-il à faire autant de bien à la ville que par le passé ? Aura-t-il encore des amis pour privatiser les services publics ? Retrouvera-t-il des compères pour détourner de l’argent public ? Pas si sûr : ceux qui sont tombés avec lui ne sont pas revenus dans le game grenoblois depuis leur sortie de prison. Qu’ont-ils fait alors?
JEAN-LOUIS DUTARET
Le bras droit
Condamné à quatre ans d’emprisonnement, dont un an avec sursis, 400 000 francs d’amende, privation de tous les droits civiques et civils pour cinq ans.
Quand Carignon rencontre l’avocat d’affaires Dutaret en 1984, c’est le coup de foudre intellectuel. Dès lors, le duo ne se quitte plus : Dutaret est décrit comme « l’éminence grise de ce couple infernal ».
Il assiste à tous les déjeuners obscurs de la période Carignon autour de la gestion de l’eau en 1987. Le « couple infernal » rencontre Prompsy et Marc-Michel Merlin pour négocier en douce la gestion de l’eau de Grenoble. Pour obtenir les faveurs de la Ville, le groupe Merlin, spécialisé dans la distribution et l’assainissement de l’eau, verse 13,2 millions de francs, et la Lyonnaise des eaux 2,6 millions, à la société Whip pour des actions de lobbying qu’elle n’a jamais menées.
En effet, Whip est le bras financier de Carignon qui lui permet de rassembler des fonds occultes. Créée par Dutaret, Whip va acheter un appartement de 280 m2 sur le boulevard Saint-Germain, à Paris, où Alain Carignon réside lorsqu’il est de passage.
L’action de Dutaret dans les coulisses favorise l’ascension de son poulain Alain qui devient ministre de l’Environnement puis ministre de la Communication. Ce poste marque l’apogée du maire de province, alors décrit comme un « prince d’Empire régnant sur le petit monde servile des médias parisiens ». Dutaret devient à ce moment patron de la très influente Sofirad (la société financière de radiodiffusion) de 1991 à 1994. Son ascension s’arrête net quand il est reconnu coupable « d’abus de biens sociaux et recel, complicité de corruption et subornation de témoins ».
L’après-prison n’est pas traumatisant pour Dutaret, sauvé par son entregent. Le journaliste Vincent Quivy rapporte qu’il s’est forgé un « carnet d’adresses facilement constitué quand il était ‘’l’ombre grise’’ du ministre de la Communication ». Dutaret se recycle rapidement à la télé : après être passé à la direction de TF1, il poursuit sa carrière comme président de Canal+ Events. Il rachète même cette filiale, ce qui occasionne des embrouilles judiciaires avec Canal+ jusqu’en 2015.
Aujourd’hui, Dutaret est toujours président de TV Sport Events, qui organise quelques événements (marathon ou tournois de tennis), mais « est dans une fonction représentative », explique son entreprise. Comprendre : il ne vient pas souvent au boulot. Par mail, Dutaret nous répond très simplement : « Je me désintéresse totalement des activités de Carignon depuis 24 ans. » Point final.
Niveau finance, l’ancien avocat rattrapé par la justice n’a pas l’air dans le besoin. Sa dernière adresse indique un immeuble sans charme d’un quartier où suinte le luxe sur l’avenue Foch, dans le XVIeme arrondissement de Paris.
JEAN-GUY CUPILLARD
Le trésorier
Condamné à trois ans de prison, dont un avec sursis, à 1,5 million de francs d’amende, à cinq ans de privation de droit de vote et à cinq ans d’inéligibilité.
Notaire attitré de la ville de Grenoble grâce à sa proximité avec Carignon, Cupillard est aussi un politicien.
De 1983 à 2001, il est le maire de l’Alpe d’Huez, et vice-président au Département sous les ordres de Carignon. Il occupe en parallèle le poste de trésorier local du RPR de 1976 à 1990 : il est donc au cœur du financement des partis politiques, plutôt trouble à cette époque.
En Isère, cela se traduit par une entente secrète autour du marché de la voirie. Les appels d’offres sont souvent truqués et les grandes entreprises de travaux publics s’arrangent pour se partager le gâteau. Lors de l’enquête concernant Carignon, plusieurs chefs d’entreprises du BTP balancent le système d’extorsion généralisé du RPR.
Pour obtenir tel ou tel marché, les entrepreneurs laissent un pourcentage à l’Office du tourisme de l’Alpe d’Huez, jusqu’à atteindre 2 millions de francs par an. « Les enquêteurs apprennent aussi qu’il a offert quelques forfaits ski à des magistrats du tribunal », écrit même L’Express en 02/03/1995. Cupillard affirme n’avoir jamais utilisé l’argent à titre personnel. La justice lui répond : « il en profite pour lui-même : utilisation gratuite d’hélicoptères ou d’avions, ainsi que de nombreux voyages à l’étranger, pour un total estimé à 6 millions de francs. »
Quand on joint Cupillard au téléphone, il se lamente de son image sur le web : « Je n’arrive jamais à faire supprimer des pages sur Google. J’ai même écrit à la CNIL ». Puis, le sémillant septuagénaire enchaîne : « Je suis réhabilité. Après un temps, mon casier judiciaire ne comporte plus les mentions de la condamnation ».
Aujourd’hui, Cupillard a tourné la page. Il n’a gardé que des attaches sentimentales à l’Alpe d’Huez. Pour le reste, les parts dans l’étude notariale sont vendues depuis longtemps. Le retraité dispose d’une carte professionnelle « afin de réaliser des affaires d’intermédiation. Je m’occupe d’immeubles de bureaux ou d’hôtels ». « Je fais quelques petites affaires pour arrondir ma retraite », explique Cupillard qui s’affiche comme dirigeant de Transac, une société immobilière immatriculée en 2005 dans le XVIème arrondissement de Paris.
Pour l’ancien maire, la politique aussi, c’est fini. Aujourd’hui, il dit « profiter de [sa] retraite et vivre à Paris avec [ses] amis. (…) À 74 ans, je lève quand même le pied » semble sourire l’homme au téléphone. Et pour Carignon ? « J’ai toujours de l’amitié pour Alain, mais, en 2001, j’ai quitté l’Isère et je ne le vois pas très souvent. »
JEAN-JACQUES PROMPSY
Le corrupteur actif
Condamné à quatre ans de prison avec sursis et 400 000 francs d’amende.
Au mois d’octobre 1988, Carignon est en pleine campagne pour un deuxième mandat à la mairie. Comme par magie, Dauphiné News, un « mensuel d’information » indépendant (financé par la publicité et quelques entreprises) sort son premier numéro. Du vrai journalisme, en somme. Mais plutôt qu’un organe de presse lambda, c’est un véritable journal de propagande à la main d’Alain Carignon. Et pour cause, le maire, qui fut un temps journaliste, contrôle chaque article avant publication et donne ses indications.
En 1989, quand Alain Carignon est réélu, Dauphiné News s’éteint en laissant une dette de plusieurs millions de francs. C’est sans compter sur la générosité de la Lyonnaise des Eaux pour régler la note par un montage obscur. Au final « 91 % des actions du holding Dauphiné News » sont rachetées par la Lyonnaise, dont le geste ne relève pas de la charité. À l’époque le directeur de l’eau de la Lyonnaise des Eaux s’appelle Prompsy.
L’entreprise française est récompensée lorsque Alain Carignon privatise la gestion de l’eau de Grenoble dans la foulée de sa réélection. Il s’arrange pour refiler le juteux marché à la Cogese, une entreprise détenue à moitié par la Lyonnaise. Un beau retour sur investissement illégal. La Lyonnaise a aussi financé les activités du maire en signant des contrats de lobbying fictifs avec la Whip pour 2,6 millions de francs.
Cette affaire Lyonnaise/Carignon a été arrangée lors de plusieurs déjeuners secrets entre Carignon, Dutaret et Prompsy. Durant le procès, Prompsy est décrit comme un homme qui « se livre à une bataille économique continuelle pour faire prospérer son entreprise ». Les juges ne sont pas tendres : « Ils ont beaucoup d’argent. Ils participent à une dérive considérable qui touche et gangrène petit à petit le monde économique et le monde politique : payer pour obtenir un marché. »
Par la suite, il sera impliqué dans le scandale Urba (autre système de financement occulte, PS celui-là). En tout cas son séjour en prison le marque au fer rouge puisqu’il achèvera sa vie en dénonçant les conditions inhumaines de détention. Il fera partie, à sa sortie de prison dans les années 2000, d’un groupe informel : les « VIP de la Santé ». Ces figures de la délinquance en col blanc s’élèvent contre leurs conditions de détention et écrivent un livre : Tous coupables. Réquisitoire contre le système judiciaire et la prison. Prompsy pense que « la prison désocialise, infantilise les hommes qui s’y trouvent ». Ou encore : « La prison ne doit pas être la seule solution, il y a d’autres pistes . » Durant ses dernières années, il joue au bridge avec sa femme, Marie-Chantal et vit tranquillement dans une belle baraque au Vésinet (dans les Yvelines). Il décède en 2016, à 78 ans.
En savoir plus sur Carignon ?
Livre promotionnel : Alain Carignon, Une saison dans la nuit, Éditions Grasset, 1995.
Livre critique : Raymond Avrillier et Philippe Descamps, Le système Carignon,Éditions La Découverte, 1995.
Articles : Carignon est encore dans la cuvette, Le Postillon n°9, mars 2011.
Avec le fan-club de Carignon, Le Postillon n°36, été 2016.
– La brochure Les années Carignon (2005), qui présente une synthèse de l’affaire Carignon
– La brochure Un corrompu de retour aux affaires ?, une autre synthèse éditée par l’association ADES
– Le livre Le système Carignon, publié en 1995, disponible en libre accès sur internet.
VOIR ARCHIVE LIBÉRATION (1995)
LIRE :
– L’évolution de la dette de la ville de Grenoble depuis Carignon.
– Les différents ouvrages d’enquêtes publiés sur l’affaire Carignon.
– L’évolution des impôts et de la redevance de l’eau à Grenoble de 1980 à 1995.
– Les affaires et les opacités liées à la gestion des offices HLM.
– L’affaire de l’échangeur d’Alpexpo.
– Les avantages matériels que s’octroyaient Alain Carignon.
– L’affaire de l’appartement Boulevard Saint-Germain.
– L’affaire de la privatisation du service des eaux de Grenoble.
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